Ouvrage collectif sous la direction de Sophie Gall-Alexeeff, directrice de l’Institut Saint-Nicolas (Institut lorrain des sciences religieuses), elle enseigne aussi la théologie liturgique et sacramentaire.
La représentation du dimanche qui a structuré l’organisation sociale et religieuse en Occident pendant des siècles s’est considérablement affaiblie. Même si ce jour reste un référent chrétien fort, la participation à la célébration de l’eucharistie, qui était considérée comme le cœur du dimanche chrétien, se trouve marginalisée – bien que, dans le même temps, d’autres formes de pratique dominicale émergent, comme la messe en replay sur internet, des célébrations de la Parole ou la liturgie des Heures.
Pour autant, la conviction des auteurs de ces pages est que le dimanche peut, aujourd’hui encore, et par-delà la sphère chrétienne, continuer à jouer un rôle capital : devenir par excellence le jour du vivre-ensemble, générateur d’une qualité de vie spirituelle et fraternelle et d’un rapport plus sain à la Création. Sans nostalgie, ils nous invitent à inventer un nouvel art de vivre.
Présentation
UN ART DE VIVRE LE DIMANCHE par Sophie Gall-Alexeeff
Comment vivre ce qui nous arrive ? Entre slow attitude et recherche du progrès, à quel rapport au temps aspirons-nous ? Comment identifier l’essentiel au milieu des incertitudes économiques, écologiques et sociales ? C’est à partir de ces questions que nous souhaitons explorer la pertinence du dimanche et opérer un discernement quant au signe posé par ce jour emblématique. En effet, le dimanche est le signe, voire le symptôme, de notre rapport au temps, à l’activité, à la place plus ou moins heureuse donnée à notre vie relationnelle. Ce jour, où la liberté de choisir ce que nous faisons peut s’exercer avec une certaine amplitude, révèle notre manière de vivre.
Cette offre de liberté et de qualité de vie n’est pas sans rapport avec les fondements chrétiens du dimanche puisque les chrétiens le reconnaissent comme étant le jour du Seigneur, premier jour de la vie nouvelle libérée des forces de destruction et de mort, que les icônes de l’Anastasis représentent si bien.
- LA PRATIQUE DOMINICALE EN MUTATION
Pourtant, depuis plusieurs décennies, la représentation du dimanche qui a structuré, en Occident, l’organisation religieuse et sociale, est remise en question.
Certes, il faut revenir à la source du dimanche et à son histoire pour comprendre pourquoi il est devenu un jour si spécifique, un marqueur du christianisme dans toutes ses dimensions cultuelles et sociétales. Mais même si nous savons que les chrétiens ne peuvent pas vivre sans le dimanche, tels les martyrs d’Abyssinie du IIe siècle, force est de constater qu’il y a aujourd’hui une modification profonde de ce qu’il est convenu d’appeler la pratique dominicale. Ce que nous considérons comme le cœur du dimanche chrétien, c’est-à-dire la participation avec d’autres – le plus souvent en paroisse – à la célébration de l’eucharistie, est grandement relativisé. On le constate dans la distance prise vis-à-vis du rythme hebdomadaire de la messe au profit d’un rythme mensuel ou trimestriel. Cela a été quasiment institué par des propositions paroissiales comme « les dimanches des familles » une fois par mois. Les restrictions liées à la pandémie de 2020 ont rendu encore plus manifeste l’absence de beaucoup de chrétiens au rassemblement dominical.
- D’AUTRES FORMES DE VIE CHRETIENNE
Pour autant, et même s’il est manifeste que la messe dominicale est la source d’une vie chrétienne assumée, d’autres formes de pratique dominicale émergent : certains échangent ou prient à partir de la parole de Dieu et de nouveaux venus les rejoignent via les réseaux sociaux. Des parents initient une liturgie familiale avec leurs enfants ; plus nombreux sont ceux qui regardent la messe télévisée du Jour du Seigneur et témoignent de leur réelle participation. Si l’on accepte de renoncer à faire nombre, on peut considérer qu’un peu aux marges de l’institution ecclésiale, des formes de vie chrétienne s’organisent, à la recherche d’une parole qui éclaire le présent et donne la force d’y faire face. Des fidèles disent trouver dans ces liturgies moins écrites et sans ministres une forme de vie nourrissante.
- “LA RELATION A DIEU, AU PROCHAIN ET A LA TERRE”
Comment alors penser le dimanche sans sombrer dans une nostalgie de ce qui n’est plus – tout du moins en Occident –, dont le repas en famille après la messe était l’emblème ? À travers les différents articles de cet ouvrage, nous voulons explorer comment, au-delà de la sphère chrétienne, le dimanche apparaît comme un formidable signe, un jour favorable au vivre ensemble : parce qu’il est potentiellement générateur d’une qualité de vie spirituelle
et fraternelle, parce qu’il peut nous engager dans un rapport sain à la Création dont relève l’écologie intégrale promue par Laudato si’ et Fratelli tutti, parce qu’il nous est donné comme une chance pour inventer un art de vivre qui nous concerne tous.
Intimement liée à l’action créatrice de Dieu dans le Christ, puisque « tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 16), l’identité du dimanche est tissée par « la relation à Dieu, avec le prochain et avec la terre » ; cette triple relation que le pape François décrit comme vitale dans l’encyclique Laudato si’ demande à être restaurée. C’est donc selon l’itinéraire tracé par la promesse de cette triple rencontre, avec Dieu, avec le prochain et avec la terre, que nous explorons la signification du dimanche.
Le début de cet ouvrage cherche à découvrir le trésor de sens qui apparaît dans les liturgies liées au dimanche. En entendant résonner le cantique des trois enfants, ou encore en identifiant le baptême comme le sacrement de la Création nouvelle, la liturgie poursuit le chemin pascal initié par le Christ et nous rend partie prenante de la Création. Situé ainsi comme jour favorable de la relation à Dieu, le dimanche est tout autant jour de la relation au prochain. C’est par la redécouverte du repos, prescrit à l’initiative même de Dieu, mais aussi de la convivialité et de la solidarité, que nous pouvons percevoir que « le dimanche est fait pour l’homme ». Enfin, l’eucharistie au coeur du dimanche nous invite à devenir « les gardiens de la création ». La liturgie est comme un laboratoire où nous apprenons de Dieu ce que signifie se nourrir, « prendre soin de la maison commune » et « s’ouvrir à plus que notre propre famille ».
- UN ART DE VIVRE
L’originalité de ce parcours réside ainsi dans la visite des trésors de la tradition dominicale afin d’y déceler un art de vivre ensemble. Nous appelons « art de vivre » non pas une espèce de raffinement mondain mais une manière d’être en relation qui cultive les choses simples et les gestes humbles, tels que le réalise l’Église dans l’eucharistie avec un peu de pain et un peu de vin. Considérer positivement le dimanche ne relève pas d’un programme social mais consiste à lui donner sa valeur de signe pour une humanité qui trouve sa finalité et son espérance en Dieu. L’art de vivre touche tout autant à l’art du repas qu’à la ritualité de la prière commune. Le dimanche peut être ce jour en Dieu où nous réunifions notre savoir-être et notre savoir-faire.